La Fée Morgane est une figure mythique encore très présente dans l’imaginaire populaire.
Mais elle demeure aussi le personnage le plus controversé des légendes arthuriennes d’où on la connaît : femme puissante et secrète, bienveillante et mauvaise. Les mythes qui nous fascinent le plus, sont souvent les plus obscurs. Cent fois maudite, souvent réhabilitée, parfois vénérée, celle qu’on appelle communément. La Fée Morgane est de ceux-là, car cette femme insaisissable est bien une légende à elle toute seule.
Chaque personnage des légendes arthuriennes est un peu mystérieux, mais la fascination que Morgane semble avoir exercé a probablement contribué à la transformer, à polir ses facettes, ou, au contraire, à les acérer au fil des siècles. Mais qui est-elle donc ?
Une fée à double visage
La fée Morgane est un personnage du monde arthurien, demi-sœur magicienne du roi Arthur.
Chez Geoffroy de Monmouth, c’est la principale des neuf enchanteresses qui accueillent Arthur à Avalon après la bataille de Camlann. Chez Chrétien de Troyes, elle est présentée comme une sœur d’Arthur, magicienne et guérisseuse, coopérant avec son frère.
Dans le Lancelot-Graal, Morgane change de personnalité et devient une opposante à Arthur et à la Table ronde. Elle n'est plus le personnage magique qui sauve Arthur mais une figure néfaste qui emprisonne les chevaliers infidèles à leur dame dans le Val sans Retour, situé à Brocéliande. Lancelot mit d'ailleurs fin à l’enchantement en bravant les terreurs imaginaires et libéra ceux qui subissaient le joug de Morgane. Elle essaie aussi de briser l'amour de Lancelot et de la reine Guenièvre.
C'est en fait une figure emblématique des légendes celtes, magicienne au double visage, l'un bon, l'autre mauvais (les deux faces de la Lune !!!). A la fois femme et savante, fée sylvestre, nymphe des vagues, sorcière et enchanteresse, c’est l’une des figures les plus riches et attachante de la famille des fées.
Experte des 7 arts, « grande clergesse » d’astronomie, savante en toute formes de magie et de médecine, connaissant les plantes, elle possède des baumes pour toutes les blessures, excepté pour celles de son propre cœur. D'une beauté surnaturelle, on la dit aussi capable de changer de forme et d'aller d'un lieu à l'autre en volant. Morgane maîtrise l’art de la métamorphose et se transforme comme il lui plaît. Ce pouvoir la relierait, selon Jill Marie Hebert, à Morrigan. Pour cette maîtrise en clergie, on l'appela Morgane la Fée.
Origines
Fille de Gorlois, roi de Cornouailles, et d’Ygraine (Ygerne ou Igerne en ancien français), Morgane fut élevé à la mort de son père, par son beau-père Uther Pendragon (père du roi Arthur). Elle est sœur d’Elaine et de Morgause, et demi-sœur d’Arthur, par sa mère.
Envoyée dans un couvent lorsqu’Uther Pendragon tue son père et épouse sa mère, elle reçoit une éducation complète. Elle fut mise tôt aux Lettres et devint habile en toutes Sciences, dans les 7 arts et surtout en ceux de la médecine, d’astronomie, de magie et d’ingromancie, enseignés par Merlin L’Enchanteur.
Par ailleurs, elle aurait été élevée sur l’île d’Avalon par la grande prêtresse Viviane.
Amoureuse déçue
Uther lui fait épouser le roi Urien de Gorre avec qui elle ne s’entend pas et dont elle a un fils, Yvain. Elle se console en menant une vie dissolue, passant de troubadours à ménestrels au gré de ses caprices et de sa fantaisie.
Et puis, à Camelot où siège la cour du roi Arthur, elle tombe amoureuse de Guyomard, chevalier cousin de la reine Guenièvre. Mais celui-ci a donné son coeur à une autre et la reine intervient pour faire cesser cette relation naissante. Dès lors, Morgane va détester Guenièvre et son frère Arthur. Cette haine s'accentuera encore lorsque Lancelot rejettera ses avances. Morgane, éperdument amoureuse du beau chevalier Guyomard, décide alors de se venger. Elle va suivre les deux amants et leur jeter un sortilège attachant magiquement Guyomard et la demoiselle à quelques pas l’un de l’autre, les condamnant à se voir sans cesse, sans pouvoir jamais se rejoindre.
Elle utilisait ses pouvoirs à des fins maléfiques et obtenait ce qu’elle voulait des hommes grâce à sa beauté. Dans certains contes, Morgane cherche à se venger de Guenièvre, en la prenant en défaut et en faisant porter à la cour, par exemple, une coupe magique révélant son infidélité.
Les feux de Beltane
Durant "les feux de Beltane", rite très important de l'ancienne religion païenne celte marquant le début de l'été, Morgane sera poussée dans les bras de son demi-frère.
Ce rite de fertilité dont le culte était voué à La Déesse-mère (représentée par la Lune), consistait à réunir la Déesse Mère et le Dieu Cornu par le biais de deux jeunes gens représentant chacun la Divinité. Morgane fut alors la jeune vierge offerte au dieu Cornu qui n'était autre qu'Arthur, sans qu'aucun des deux ne le sache. Ils le découvriront le lendemain matin. Le fruit de cette union s'appellera Mordred. Une légende celtique parle d’un second enfant nommé Yvain (qui serait l’aîné de Mordred). Yvain serait le fruit de l’union entre le roi Urien et Morgane. Il est l’un des grands chevaliers de la Table Ronde.
Bien qu’il soit un jour banni par Arthur (à cause des fautes de sa mère Morgane, elle-même bannie de la cour), il resta pourtant fidèle au roi et prit part à d’innombrables aventures dans lesquelles il fut accompagné d’un puissant lion, très docile en présence de son maître, ce qui lui valut le titre de Chevalier au Lion (épisode développé par Chrétien de Troyes).
Protéger la Bretagne et sa religion païenne
Morgane est guérisseuse et magicienne, fidèle au monde merveilleux d'Avalon qu'elle abandonnera un temps pour tenter de répandre ses principes dans le monde réel qui découvre le Christ et ses lois, cette nouvelle religion où la Déesse Mère est remplacée par une vierge et où tous les rites célébrants la nature et la fécondité sont écrasés et remplacés par des rites chrétiens rendant gloire à des principes masculins.
Morgane tentera de lutter contre l'oubli que l'on veut imposer à sa culture et à la tolérance qui la caractérise. Elle cherche à protéger la Bretagne de l’influence grandissante du catholicisme, personnalisé par la reine Guenièvre, de nature très pieuse.
Elle voulait défendre auprès du roi Arthur les anciennes croyances, qui étaient à la base de ses pouvoirs magiques, ainsi que de ceux de Merlin, dit l’Enchanteur. Morgane deviendra prêtresse de cette religion païenne basée sur l'Île d'Avalon et portera comme les autres prêtresses de la Déesse, des croissants de lune tatoués sur la peau sur le front ou sur les mains.
Reine d'Avalon et habile sorcière née de la mer
La Fée Morgane, reine d'Avalon, l'île aux Pommes de l'autre monde, porte une branche de pommier, symbole celtique de la paix et de l'abondance. Habile sorcière, elle joue souvent un rôle obscur, s'opposant à Arthur et manipulant les héros.
Plus symboliquement, elle est une déesse hivernale des ténèbres et de la mort, par opposition à Arthur, seigneur de l'Été. Et elle révèle l'aspect rédempteur de son personnage lorsqu'elle se fait la reine guérisseuse d'Avalon, gardant le corps d'Arthur dans la mort. C’est Morgane qui aurait brodé le fourreau magique d’Excalibur qui protège Arthur de toute blessure fatale au combat. Elle cherchera par la suite à lui reprendre cet objet sacré car, en ne restant pas fidèle à l’ancienne religion, il a trahi son serment et ses origines celtes.
Mordred, le fils de Morgane devra reprendre le pouvoir (d’où son duel mortel avec Arthur) pour rétablir l’ancienne religion. Le combat final les opposant se déroulera à Camlan. C’est là où le Jeune Dieu Cornu (Mordred) affrontera le Vieux Dieu Cornu (Arthur). Les deux personnages mourront après s’être entretués, et Excalibur retournera dans le lac de Viviane, portée pour la dernière fois par Merlin. La légende veut que Morgane ait transporté la dépouille du Roi Arthur dans l’île d’Avalon, et qu’il réapparaîtra en des temps troublés.
L'ile d'Avalon, appelée l’Insula Pomorum par Geoffroy de Monmouth, n’est pas sans rappeler l’île paradisiaque des Hespérides de la mythologie gréco-latine, où se tient une pommeraie entretenue par des nymphes et dont les fruits délivrent l’immortalité.
À vrai dire, la localisation d’Avalon n’est jamais claire, même s’il est assez sous-entendu que le lieu est relié à – ou fait partie de – l’Autre Monde. Une sorte de lien entre celui-ci et le monde des hommes ? Elle est décrite, à la manière de l’île des Hespérides, comme la Terre de l’éternelle jeunesse, une sorte de paradis où se rendent les hommes après leur passage dans le monde. Ce qui justifierait le rôle de passeur de Morgane pour Arthur, qui est après tout un roi légendaire et se doit d’être escorté…
Reine ou Prêtresse qui multiplie ses aller-retours entre ce lieu légendaire et le monde des mortels, Morgane devient une médiatrice entre les deux mondes. Non contente d’être maîtresse d’un domaine entouré d’eau (l’île) et de traverser régulièrement cette étendue pour rejoindre les humains, l’étymologie de son nom ramène aussi aux sirènes : Morgen, ou Morigena, ou Muirgen… Quelle que soit la langue, vieux gallois, breton, gaélique, les linguistes tombent assez d’accord pour le traduire en « née de la mer », certains la désignant aussi comme une sirène.
Sans aller aussi loin, son nom rappellerait directement les morgens, les fées ou esprits des eaux dans le vieux folklore gallois. Dans les légendes bretonnes plus récentes, on les appelle les « mari-morgans », ou juste les « morganes », et elles ont également ce comportement ambigu, jouant d’un côté à égarer les marins et de l’autre à partager leur savoir et leurs richesses. Ces mises en relation attestent au moins d’une chose : l’appartenance incontestable de Morgane au surnaturel, la magie étant contenue jusque dans son nom.
Morgane, Déesse celte
En fouillant un peu sur le personnage de Morgane, il est facile de trouver plusieurs ouvrages et essais qui l’assimilent à la déesse Morrigan, la Triple Déesse (ou Trinité, ou Déesse Mère) de la tradition celtique.
Évidemment, bien peu d’écrits nous sont parvenus de l’époque où ladite tradition asseyait largement sa suprématie. C’est pourquoi on a tendance à plutôt faire le lien avec la déesse de la guerre Morrigan (Morrigu) issue de la tradition irlandaise plus récente, et dont le caractère ambivalent correspond plutôt bien à notre fée Morgane.
Morrigan inspire à la fois la crainte et la dévotion ; déesse de la guerre et/ou de la mort qu’on pourrait assimiler à la Valkyrie, elle donne sa préférence déterminante à l’un ou l’autre camp sur le champ de bataille de manière tout à fait imprévisible – et lorsqu’elle frappe, rien ne peut lui résister. Un peu comme Morgane, personnage si conflictuel, un coup du côté des chevaliers, un coup leur pire ennemie. La déesse peut également changer de forme, comme celle un peu sinistre du corbeau allant picorer les cadavres des perdants, et si elle est décrite comme une féroce guerrière, elle est aussi un fort symbole de la sensualité féminine.
Peut-on pour autant dire que la théorie, selon laquelle la fée Morgane est liée à une figure celtique aussi puissante, est crédible ? Elle est en tout cas séduisante. Car il nous reste assez peu d’éléments, au final, de cette ou ces figures de déesses mères qui auraient prévalu pendant longtemps avant d’être dépassée(s) par l’avancée du Christianisme. On notera d’ailleurs que le récit du XIVe siècle « Sire Gauvain et le chevalier vert » la mentionne entre autres de cet énigmatique terme en vieil anglais : « goddes ». Cette dernière choisit tantôt de guérir, tantôt d’anéantir ?
La déesse Morrigan guérit comme elle tue. Il n’y a, encore une fois, que trop peu de preuves écrites pour pouvoir étayer cette théorie, mais il est toujours intéressant de se pencher sur les surprenantes similarités, qui suggèrent que le personnage de Morgane a au moins été inspiré de la divinité celtique.
Sainte Marguerite, Margot et d'autres noms encore...
La christianisation a diabolisé Morgane, tout comme elle l’a fait de Gargantua et de Mélusine. Elle l’a christianisée en sainte Marguerite, représentée « issourt » du dragon, comme à Luceram (Alpes Maritimes), ou avec le dragon à ses pieds, le dragon-vouivre symbolisant alors les énergies telluriques.
Dans Histoire et Géographie Mythique de la France, Henri Dontenville précise que dans le Queyras « une centaine de sorcières brûlées entre 1428 et 1447 (...) avaient comme prénom Marguerite ».
Morgane a perduré sous le nom de fée Margot et l’on trouve un peu partout en France des « Caves à Margot », des « chambres de la fée Margot », des « fuseaux de Margot », des « Roche Margot ».
Le Manuscrit des Paroles du Druide sans nom et sans visage la dit « Mère Grand, Morgan, Celle-qui-sait-la-vuipre, Bel-Terre, la Noire, la Dame de Sous-Terre, et tant d’autres noms... ».
Dans les Chroniques, Morgane la Fée est dite la marraine de Gargantua. Son nom y est d’ailleurs orthographié Morgan-le-Fay, alors que Rabelais l’appelle la fée Morgue et écrit, dans son Pantagruel, que « Gargantua avait esté translaté au pays des fées par Morgue », dans l’Île d’Avalon.
L’énergie de Morgane, sonorité MeReGue, est liée à celle de Gargantua, sonorité GueReGue et, tout comme il y a de nombreux Monts « Gargan », il y a quantité de Monts qui doivent leur nom à Morgane : Monts Morgon, Margantin, Mercantour.
Et tout autant de rivières Morgon, Mourgon, Morge, Mourgues ; des fontaines de la Mourgue, alors qu’en Allemagne et en Suisse se trouvent des rivières Murg, comme l’a montré Henri Dontenville dans Histoire et Géographie Mythique de la France.
Elle est dit parfois, dans certains contes, femme de Gargantua et, comme lui, elle porte un « devantiau » dans lequel elle transporte des pierres.
Le Morgant Maggiore de Pucci (fin du XVe siècle) conte les exploits d’un géant Morgante, ou Morgant, Morgan. Morgane est dite Morgue et est liée à la Mort, mais elle est aussi Mère-Grand, Mère-Guérisseuse. Dans le poème médiéval Gauvain et le Chevalier Vert (traduction par Alma L. Gaucher aux Editions Le Point d’eau), dont l’auteur est inconnu, Morgane est la complice de la belle dame de Haut-Désert, toutes deux recherchant la mort de Gauvain par des actes fourbes et traîtres.
Le portrait de Morgane
Aspect : Grande, ses longs cheveux brillants sont noirs et souvent nattés. Son regard gai et innocent, rêveur et mélancolique est devenu au fil des épreuves, désenchanté et dur. Étrange, un peu halluciné comme son maître Merlin. Petit à petit Morgane a perdu sa nature de femme pour prendre l’aspect désincarné de certaines fées que le regard du mortel éclaire ou assombrit selon son état d’âme.
Vêtement : à la mode du temps, plus blanc, noir et vert.
Nourriture : la pomme
Mœurs : A la fois femme et savante, fée sylvestre, nymphe des vagues, sorcière et enchanteresse, c’est l’une des figures les plus riches et attachante de la famille des fées.
Activités : Experte des 7 arts, « grande clergesse » d’astronomie, grande savante en toute formes de magie et de médecine, elle possède des baumes pour toutes les blessures excepté pour celles de son propre cœur.